La France Peripherique PDF de Christophe Guilluy

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C’était un livre, c’est devenu un objet politique incontournable. Dans La France périphérique, publié en 2014, le géographe Christophe Guilluy annonçait l’affrontement à venir entre deux France: d’un côté celle des métropoles heureuses, de l’autre celle des périphéries oubliées de la mondialisation.

Le duel Macron-Le Pen lui a-t-il donné raison? En tout cas, de gauche à droite, tout le monde l’a cité lors de la campagne. Pour ne pas dire récupéré.

C’est un petit livre jaune dans son format poche de 185 pages, dont l’auteur avance, « sans être trop sûr », en avoir vendu 50 000 exemplaires depuis sa sortie en 2014, ce qui est « plutôt bien pour un bouquin de géographe ». Mais l’influence  intellectuelle de La France périphérique se mesure à d’autres critères. “Je suis sollicité par tous les médias”, s’amuse Christophe Guilluy, 52 ans, installé à la terrasse d’un bar non gentrifié de la place de la République, à Paris, sur laquelle une centaine de lycéensdéfilent pour renvoyer dos à dos les deux derniers candidats à la présidentielle.

LePen/Macron, la patriote contre le libéral, l’avocate des perdants de la mondialisation contre le champion des winners issus des métropoles dynamiques, voilà justement l’objet de travail de Christophe Guilluy. Pour lui, “cet affrontement chimiquement pur” était inévitable. Derrière le crâne lisse et la voix douce du chercheur à l’allure d’inspecteur solitaire, il y a même comme un air de “je vous l’avais bien dit”. Et force est de le reconnaître: qui, hormis lui, s’intéressait à cette France des petites et moyennes villes, des zones rurales éloignées, cette France qui concentre 60% de la population, avant qu’elle ne prenne un bulletin Front national? Christophe Guilluy n’est pas un géographe ordinaire.

Il n’a jamais validé sa thèse, n’ajamais enseigné et ne se revendique pas en scientifique froid, universitaire, impartial. Il assume et revendique de déborder de son rôle de géographe, malgré les critiques de certains de ses confrères. “Je sens mauvais parce que je n’ai pas les codes du scientifique qui restecalme, neutre. Mais comment rester calme face à la société actuelle?” À l’origine du travail de Christophe Guilluy, il y a donc une colère, celle d’un gamin issu de la classe populaire, né en Seine-Saint-Denis et qui a grandi à Belleville. “La destinée des classes populaires me touche vraiment. Je l’ai dans les tripes.

Je trouve dégueulasse ce qui leur a été fait en Europe. On se fout de leur gueule, ça me révolte.” Cette critique, il la pose depuis qu’il importa, à la fin des années 90, le concept de “bobo” inventé par le journaliste américain néoconservateur David Brooks. S’il dit n’avoir rien contre eux –“Je roule en Vélib’ et je trouve Paris plus agréable qu’auparavant”–, Guilluy reproche quandmême aux bobos “cette supériorité morale et de ne pas assumer une position de classe”. Car, sans brandir Marx, le géographe croit à une nouvelle lutte des classes, mais une lutte invisible, que le milliardaire Warren Buffet a résumé de la manière suivante: “C’est ma classe, la classe des riches, qui la mène. Et nous sommes en train de gagner.” 

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Hollande, Sarko et les autres 

Pour mener la contre-offensive, il faut choisir ses armes. Christophe Guilluy a opté pour les cartes car “elles permettent de voyager sans bouger”, mais peut-être aussi parce que “la géographie sert à faire la guerre”, selon la formule du père de la matière en France,Yves Lacoste. “Il n’y a dans la géographie que des points de vue et des rapports de force, poursuit l’élève. Ce que j’ai fait avec La Francepériphérique, c’est révéler la France populaire.

C’est une carte subjective. Si je montre la carte des métropoles, on peut avoir l’impression que la France se résume à elles. Mais à côté, je montre celle des classes populaires et la première carte est la négative de la seconde. C’est une subjectivité.” Assumée, la subjectivité de Christophe Guilluy a rencontré un premier écho politique à la sortie de Fractures françaises en 2010, sorte de préquel de La France périphérique. Jean-Baptiste de Froment est l’un des premiers à repérer le livre.

Il est alors une des têtes chercheuses de l’Élysée, un philosophe de formation chargé d’apporter de la matière intellectuelle à Nicolas Sarkozy bientôt en campagne pour sa réélection. Il découvre un samedi matin le géographe invité d’Alain Finkielkraut dans Répliques, sur France Culture. “J’ai acheté le livre dans la foulée.Il posait le bon diagnostic sur les difficultés de la société française, un peu comme Emmanuel Todd avec la fracture sociale en 1995, sauf que là, elle devenait territoriale.

Tout était déjà là. La France périphérique, c’est la reprise des Fractures françaises avec des concepts plus frappants et en forçant le trait.” Une rencontre est organisée quelques semaines plus tard avec Sarkozy. Après un temps d’hésitation, celui dont le travail quotidien consiste à rédiger des rapports pour des collectivités territoriales, l’accepte. “Sauf que la rencontre sort dans la presse en plein pic de l’anti-sarkozysme. Pour mes amis de gauche, je deviens, comment dire…J’aurais rencontré Hitler, ça aurait été la même chose.” En peu de temps, l’homme de gauche, le chevènementiste passé par le PC “mais jamais encarté”, devient le “géographe préféré de la droite”, selon Libération.

Quelques mois plus tard, Guilluy retourne à l’Élysée pour un déjeuner avec son nouveau locataire. “Quand vous parlez avec des politiques comme Sarkozy ou Hollande, ils sont toujours très sympas, ils vous expliquent à quel point vous êtes formidable. Après, qu’est-ce qui rentre dans leur tête? Je n’en sais rien, moi, je viens livrer mon diagnostic.” Et toute la valeur de celui du docteur Guilluy était “d’avancer le contraire de tout ce que l’on pouvait lire ou entendre à l’époque”, loue De Froment. Surtout, quand le focus se pose sur les banlieues, où les difficultés seraient concentrées en France, le chercheur tend à démontrer que les véritables territoires oubliés sont ailleurs. “Il montrait que les banlieues appartiennent à ces métropoles qui sont les gagnantes de la mondialisation et bénéficient de cette proximité, poursuit De Froment.

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C’était une pensée paradoxale qui rendait ses arguments séduisants. Il a mis en lumière une France dont on ne parlait pas et qui représente 60% de la population. En marketing politique, c’était intéressant à utiliser, car celui qui arrivait à parler à cette France devenait forcément majoritaire.” Dans la foulée, l’homme de gauche devient l’auteur de chevet d’une certaine droite, incarnée par Laurent Wauquiez, qui s’avoue “totalement en osmose avec les thèses du livre”.

Même Patrice Buisson voit dans cette périphérie “cette France qui en veut à l’Europe et qui a voté non au référendum de 2005 contre les élites”. Florian Philippot finit par glisser La France périphérique entre les mains de Marine Le Pen. Le vice-président du Front national en assure même la promotion sur Twitter en octobre 2014: “Qui veut réfléchir sérieusement loin de l’idéologie et de la bêtise crasse: lire La France périphérique de Guilluy.”

Qu’en pense le principal concerné? “Philippot n’est pas débile. Le type lit des livres et trouve dans le mien un diagnostic qui va lui servir dans sa stratégie au sein du FN, c’est-à-dire viser l’électorat populaire. Il adapte son discours à la sociologie de son nouvel électorat.” Christophe Guilluy assume le risque d’être repris, détourné. “Mon boulot s’arrête quand je rends le livre. Les politiques vont ensuite faire leur marché dedans pour trouver ce qui peut leur servir.

La droite va prendre la partie plus culturelle et identitaire, et la gauche la partie sociale. Je n’y peux rien.” Ce n’est pas tout à fait l’avis de la sénatrice écologiste et historienne Esther Benbassa, qui lui a répondu dans un livre paru en février, Nouvelles Relégations territoriales: “Je n’ai rien contre Christophe Guilluy, mais ses théories ont été récupérées par le FN parce qu’elles sont tout de même assez simplistes, avec d’un côté la ville, et de l’autre le périurbain. J’ai travaillé avec de nombreux géographes et la conclusion, c’est que cette vision binaire des choses fait barrage à la compréhension.”

“Guilluy a unedéfinition de la France périphérique qui est un peu ad hoc: la France périphérique, c’est la France qui vote FN, la France qui vote FN, c’estla France périphérique, enchaîne Joël Gombin, politologue spécialiste du FN. Et comme il ne donne jamais de critères très précis et objectifs pour définir ce qu’est cette ‘périphérie’, on peut soupçonner qu’il la décrit de manière à ce que ça colle bien avec sa thèse.” Pourtant, s’il est devenu l’oracle médiatique du vote frontiste, Guilluy n’a jamais rencontré un de ses membres. “Je n’ai jamais été approché par le FN, ils connaissent déjà ma réponse”, dit-il, comme une évidence absolue. 

“Un parti politique, c’est une sociologie” 

En réalité, son diagnostic sur cette France fracturée, Guilluy l’a apporté en premier au Parti socialiste, à travers les différents think tanks dans lesquels il a gravité. Avec un succès relatif. “Ils m’écoutaient, mais leur problème était de savoir comment s’en servir politiquement. Un parti politique, c’est une sociologie. Il y a plein de gens que j’ai rencontrés au PS qui sont d’accord avec le diagnostic, mais qui sont enfermés dans une sociologie, celle de leurs électeurs. Quand Delanoë a gagné Paris, je leur avais dit: ‘Gagner Paris, c’est le baiser qui tue.’ On ne peut pas représenter Paris et les classes populaires.” Bobos contre prolos, encore. 

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  La stratégie du think tank Terra Nova, qui préconisait l’abandon admis de ces classes populaires irrécupérables. “La stratégie de Terra Nova a fonctionné, reconnaît-il. Hollande a été élu avec. Elle était cynique mais partait d’un bon diagnostic. Qui était de dire: ‘On ne rattrapera pas les catégories ouvrières, populaires, donc essayons de nous concentrer sur ce qui peut faire une majorité.’ Sauf que c’est très fragile, ça ajoute des électorats très différents.”

Sur le terrain, Guilluy dit rencontrer des élus locaux socialistes qui partagent son analyse, “prêts à aller loin pour regagner les classes populaires”. Sauf que selon lui, ces présidents de région ou de conseils généraux, “des types compétents”, pèsent pour quantité négligeable rue de Solférino. Avant même l’accident électoral de Benoît Hamon, certains partageaient déjà son analyse. Avec six intellectuels, Guilluy a participé dès 2011 à l’ouvrage collectif Plaidoyer pour une gauche populaire, dirigé par François Kalfon et Laurent Baumel, animateurs de la sensibilité gauche populaire au sein du parti.

“Ce livre était une réponse à Terra Nova, un rappel pour dire que le PS ne pouvait pas seulement devenir le parti des classes moyennes supérieures, des intellectuels, des minorités, mais qu’il devait être un parti central s’adressant aux classes populaires, à la France des territoires sociologiques”, contextualise Baumel. 

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  À l’époque, le candidat Hollande reçoit dans son bureau de l’Assemblée le futur député frondeur: “C’est sur la base des travaux de Guilluy, notamment, qu’on a plaidé auprès de lui pour la réaffirmation des réflexesrépublicains, pour ne pas donner le sentiment que l’on encourageait le communautarisme.” Au PS, le cas Guilluy souligne la fracture entre les fameuses “deux gauches irréconciliables”définies par Manuel Valls.

“On a commencé à s’intéresser à ses thèses après les cantonales de 2011, quand on a vu émerger dans certains territoires un vote FN auquel on ne s’attendait pas du tout”, note une élue parisienne. Après le quinquennat Hollande, la dernière primaire a pourtant donné raison à Guilluy sur la sociologie de l’électorat socialiste. Soutenu par Baumel et avec Kalfon comme directeur de campagne, Arnaud Montebourg, et son programme qui s’adressait pour bonne part aux blouses bleues, a échoué en troisième position. “Montebourg ne pouvait pas passer le cadre sociologique de la primaire, constate Baumel, amer. Les classes populaires et les salariés précaires sont pour l’instant trop cristallisés sur le vote FN. Mélenchon est en train d’en récupérer une partie, peut-être provisoirement.” 

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  Sans surprise, Christophe Guilluy a aussi pris un café avec le président Emmanuel Macron. À l’époque, celui-ci n’était encore que ce ministre de l’Économie transgressif au sein du gouvernement Valls. Résultat: un échange “instructif ” mais dont le géographe dit être ressorti sans trop d’illusions. “Il n’avait aucun problème avec mon diagnostic et cite La France périphérique à plusieurs reprises dans son bouquin, Révolution. La difficulté, c’est comment on fait? On peut établir un constat, mais pour gagner une élection, il faut s’appuyer sur un socle électoral. Et le socle de Macron est quand même lié aux grandes métropoles, aux insiders…” De sa lecture de Guilluy, Emmanuel Macron a pourtant retenu certains concepts. Il a réaffirmé pendant la campagne “être le candidat de la France ouverte, mais pas de la mondialisation heureuse”.

Comme une manière de se prémunir: ne surtout pas être assimilé seulement aux vainqueurs. “Pas un politique en France ne pourrait se dire anti-Guilluy et se revendiquer comme le représentant de la France des métropoles, avance Joël Gombin

. D’ailleurs, personne, depuis Madelin, ne s’est revendiqué de la ‘mondialisation heureuse’.” Justement: avec la victoire d’Emmanuel Macron et le ralliement probable des sociaux- libéraux emmenés par Manuel Valls à une possible future majorité présidentielle, l’heure serait-elle venue pour ce qui reste du PS de troquer la stratégie Terra Nova pour la ligne Guilluy? Ce dernier observe que Jean-LucMélenchon dispose d’un temps d’avance. “Aujourd’hui, s’identifier comme de gauche ou de droite, c’est perdre. C’est ce qu’intuitivement Mélenchon avait compris en arrêtant de s’adresser à la gauche mais au ‘peuple’. Depuis20 ans, il n’y avait plus de vrai conflit, ladifférence entre Sarkozy et Hollande, faudra me l’expliquer…

Cette dynamique-là ne va pas s’arrêter. En 2022, ça ne sera peut-être plus le FN, mais peut-être un mouvement de gauche qui portera cette critique du modèle libéral.” Pour autant, le chercheur solitaire ne murmure pas à l’oreille du leader des Insoumis. D’ailleurs, il ne croit pas au mythe “très français de l’intellectuel qui va influencer les politiques”. Il n’achète pas la fable d’un Chirac vainqueur en 1995 grâce à la fracture sociale empruntée à Emmanuel Todd.

“Je n’influence personne, Todd n’a influencé personne, Zemmour (qui a beaucoup fait la promotion des livres de Guilluy sur les plateaux télé, ndlr) non plus.Le fantasme de Zemmour qui ‘droitise’ la société française, c’est une connerie. Il influence des gens déjà d’accord avec son discours. Ce sont les gensd’en bas qui choisissent l’offre électorale et qui se disent: ‘On va se servir du FN’, par exemple.” Les classes populaires, encore et toujours. Celles avec lesquelles les partis composent pendant la présidentielle “parce que c’est la seule élection où elles se déplacent”, mais qui retourneront à l’abstention dès les législatives, annonce le géographe. “Encore quelques semaines et on va de nouveau s’adresser à des électorats classiques, plus besoin de parler à la classe ouvrière.”

Plus besoin du coup de citer Christophe Guilluy non plus? “Peut-être que je suis un géographe pour présidentielle”, sourit-il, alors que le cortège lycéen s’est déjà dispersé. Rendez-vous est donc pris en 2022. Reste à trouver une nouvelle formule choc d’ici là.

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